Gharbi Aymen, Magma Tunis (Éditions de l’Asphalte. 2018)

Ghaylène, jeune Tunisien urbaniste et intellectuel, n’en peut plus de sa vie. Face à ses difficultés professionnelles et amoureuses, sous l’emprise de la drogue, il veut mourir.

Il part sillonner les rues de Tunis avec cette envie d’en finir mais des événements bizarres se multiplient : apparition massive de chats, mouvements de foule, présence très belliqueuse des policiers, lancers de pétards tonitruants et happenings d’art contemporain des plus étranges. Il s’égare encore davantage d’autant qu’il se sent suivi…

Gharbi Aymen brosse des personnages excentriques, un peu nonchalents, mais il évoque surtout une jeunesse désenchantée, amère et en perte de repères. Attendait-elle des conséquences plus heureuses de la révolution de Jasmin ? Un très beau roman.

Thérèse Chiarello

 

Perrine Le Querrec, Rouge Pute, (Éditions La Contre Allée, 2020) – Sélection Monde d’Après 2020

L’auteur a rencontré dans un centre social de nombreuses femmes qui après un temps de mise en confiance ont parlé des violences conjugales qu’elles ont subies.
Avec beaucoup de sincérité et de pudeur, Perrine le Querrec se fait le porte-voix de ces confidences.
A la première personne, ses poèmes sont brefs, percutants et violents comme les coups et les insultes subis.
Ils évoquent la peur, le manque d’aide, l’indifférence, l’envie de fuir, la peur aux ventre.
Ils parlent des enfants aussi…
Et dans cette période de confinement, on ne peut que frémir en songeant à ce qui peut se cacher derrière les murs.

Thérèse Chiarello

Retrouvez ici Les Invisibles, la contribution de Perrine Le Querrec au Monde d’Après de Colères du Présent.

 

Emmanuelle Pireyre, Chimère (Editions de l’Olivier, 2019)

Emmanuelle est écrivain et pour les besoins d’une chronique sur les OGM qui lui est commandée par Libération, elle est amenée à recontrer des personnages haut en couleurs : une biologiste spécialiste de manipulations génétiques, une manouche idéaliste, un panel de citoyens choisis par l’Europe pour réfléchir aux enjeux de la société future. Les Français plancheront sur Temps libre et loisirs. Ils décideront finalement de se vautrer dans des transats, transformant leur sujet d’étude en expérience. Et puis, il y a Alistair, chien-homme, chimère issue des expériences de la biologiste anglaise. Que faire de lui lorsqu’il squatte le canapé et le téléviseur ?

L’auteur écrit un récit avec beaucoup de bifurcations, entremêlant différents éléments fictifs. Elle a l’art de croquer des personnages irrésistibles, de mêler burlesque et suspense mais aussi science, politique et imaginaire faisant de son roman une véritable chimère.

Thérèse Chiarello

 

Pierre Serna, L’extrême centre ou le poison français, 1789-2019 (Édition l’Esprit libre, 2019)

Pierre Serna est historien ; pour lui, l’extrême centre est un mode de gouvernement qui exerce une politique modérée conduite exclusivement par l’exécutif brutal et policier. Les classes laborieuses, les chômeurs, les manifestants sont des menaces. Il parle beaucoup de « girouettisme », d’hommes politiques qui ne rougissent nullement de quitter droite ou gauche pour gagner le centre puisqu’ils agissent dans l’intérêt de la nation. Nous n’y verrions qu’opportunisme et carriérisme.
Ce qui est très intéressant dans cet ouvrage ce sont les allers-retours, passé-présent, que mènent l’auteur débusquant ainsi les formes renouvelées du centrisme. C’est ainsi que de la Révolution française, de Robespierre à Bonaparte puis à E. Macron, il pointe les similitudes d’un système autoritaire qui participe, en neutralisant les oppositions, à l’effondrement de la démocratie.
Bien qu’il soit assez dense, cet essai est très agréable à lire.

Thérèse Chiarello

 

Aurore Lachaux, Compléments du non (Editions Mercure de France, 2019) – Sélection Monde d’Après 2020

La narratrice vient de perdre son père, brillant ingénieur employé dans une société aéronautique. La direction des ressources humaines n’a eu de cesse d’écarter cet homme vieillissant au profit de jeunes cadres ambitieux. A force d’être relégué, ignoré, la santé du père se dégrade. Lorsqu’il décède, sa fille veut rendre l’honneur à son père et c’est avec rage qu’elle dénonce toutes les petites cruautés quotidiennes, l’hypocrisie et la dureté de notre société. Son désir de rendre des comptes laisse exploser sa colère intime.
Dans un ouvrage bref, Aurore Lachaux nous offre un livre puissant au style percutant.

Thérèse Chiarello

Retrouvez ici Le Monde d’Après, la contribution d’Aurore Lachaux au Monde d’Après de Colères du Présent.

Maxime Nicolle et Mariel Primois Bizot, Fly Rider (Éditions au Diable Vauvert, 2019) – Sélection Monde d’Après 2020

Maxime Nicolle est une des figures emblématiques du mouvement des Gilets jaunes. Avec Mariel Primois Bizot, il relate dans son ouvrage, Fly Rider, ce parcours étonnant. Cet essai n’est pas le journal de ce mouvement mais le récit d’un homme convaincu et sincère, qui est une des figures de cette révolte des Gilets jaunes. On y découvre l’homme, ses réussites mais aussi ses galères. Pour sa passion de la moto, il anime un site et laisse quelques commentaires sur l’état de la société. A sa grande surprise, ce site sera suivi par des milliers de personnes. Très vite il devient un repère pour beaucoup de gens mais il est aussi qualifié de complotiste par d’autres. Difficile de trouver les mots justes, qui ne portent pas à polémique lorsque l’on ne sort pas de l’ENA. Après la surprise de cette nouvelle célébrité, il découvre vite ses aléas et les conséquences pour sa vie personnelle.

Thérèse Chiarello

Retrouvez ici la contribution de Maxime Nicolle au Monde d’Après de Colères du Présent

Selahattin Demirtas, Et tournera la roue (Ed. Collas, 2019)

Selahattin Demirtas , Kurde de Turquie, est incarcéré depuis le 4 novembre 2016 à Edirne, il encourt une peine de 183 ans de réclusion parce qu’il croit en la liberté, la démocratie et la paix.
Et tournera la roue est un recueil de nouvelles dans lequel Selahattin nous emmène sur les routes de Turquie à la rencontre de personnages attachants, gens ordinaires mais hauts en couleurs. Drôles et parfois tragiques ces récits nous font voyager dans une Turquie bien différente de celle des stations balnéaires touristiques. Les descriptions des paysages sont d’une incroyable précision et d’une réalité fascinante.
On sourit, on rit mais aussi on frémit au fil des pages. Magnifique.

Didier Chiarello

Mon fils en rose. Camilla Vivian, (La contre allée, 2019)

Camilla Vivian est italienne. Elle élève seule ses trois enfants et s’inquiète pour son garçon qui depuis l’âge d’un an et demi manifeste une nette préférence pour les vêtements féminins. Ce qui paraît amusant lorsqu’il est petit devient problématique lorsqu’il rentre à la maternelle. Il entre dans de grandes colères ou une profonde tristesse s’il ne peut porter des habits roses, de préférence à paillettes. Camilla suit son enfant avec beaucoup de délicatesse, de douceur et d’amour. Mais elle n’a aucun appui de son entourage. Avec beaucoup de détermination, elle essaie de comprendre, mais les pédiatres et psychologues italiens ne lui sont d’aucune aide. C’est sur les réseaux sociaux qu’elle va rencontrer des cas similaires, elle apprend alors ce qu’est la dysphorie de genre et les multiples développements atypiques de l’identité de genre. Mais il faut sans cesse lutter, les difficultés s’accroissent avec l’âge : aller à la piscine, à la plage, chez des amis. Alors Camilla décide que ce n’est pas à son enfant de s’adapter mais il revient aux autres de comprendre et d’accepter.

Un témoignage très émouvant.

Thérèse et Didier Chiarello

Régis Hautière et François David, De briques et de sang (Éditions Casterman, 2010)

En 1914, deux meurtres successifs sont commis au Familistère de Guise, dans l’Aisne. Victor Leblanc, journaliste à l’Huma est envoyé sur place pour suivre l’enquête.
S’il s’agit effectivement d’une enquête policière bien ficelée, cette BD relate surtout l’histoire de ce palais social tel que l’a conçu Godin, fameux industriel des poêles à bois dans les années 1880.
Cet ensemble de bâtiments, propriété des ouvriers qui le géraient telle une coopérative, comprenait l’usine mais aussi logements, école, commerces, crèche, théâtre et piscine. C’est cette utopie sociale, proche de celles de Jaurès et concrétisée par Godin qui fascine notre journaliste. Ava, la fille d’un ouvrier, sera son guide et lui fera visiter le familistère de la cave au grenier, tout en participant activement à l’enquête.
Si cette BD est très agréable à lire, il faut noter que le dessin est somptueux.

Thérèse et Didier Chiarello

Inès Léraud et Pierre Van Hove, Algues vertes, l’histoire interdite (Éditions Delcourt, 2019)

La journaliste Inès Léraud a mené une enquête rigoureuse et obstinée sur la scandale des algues vertes qui touche le littoral breton depuis des décennies. Malgré les lanceurs d’alerte, médecins, écologistes, 3 hommes et 40 animaux trouvent la mort en s’enlisant dans les amas d’algues que rejette la mer ou en les manipulant. L’odeur pestilentielle dénonce la présence de l’hydrogène sulfuré qui s’en dégage et c’est cet élément qui est la cause de ces décès. Aux courriers et aux appels des médecins, les autorités opposent un silence de plomb. Des analyses d’échantillons disparaissent. Face à ce scandale sanitaire et environnemental, l’auteur démontre l’inertie des politiques qui veulent avant tout préserver emplois et tourisme et surtout le pouvoir incontrôlé des multinationales de l’agro-industrie, de leur entre-soi, et la manière dont elles musellent les agriculteurs. Chacun d’entre nous se doit de lire cette BD très édifiante.

Thérèse et Didier Chiarello