Chaque année, Colères du présent récompense un ouvrage figurant dans une sélection qui donne un bel aperçu de ce que peut représenter la littérature d’expression populaire de critique sociale. Il est remis en partenariat avec le Conseil départemental et la médiathèque départementale du Pas-de-Calais, et porte le nom de Amila-Meckert. Un auteur dont l’oeuvre prolifique est à découvrir, et à redécouvrir, toujours et encore.

Qui était Jean Amila-Meckert ?

Écrivain autodidacte (1910 – 1995), il a accordé une grande place dans ses romans, qu’ils aient été publiés en collection « blanche » ou en Série Noire, au monde ouvrier dont il était issu, un monde ouvrier abordé dans toute sa complexité. Homme de lettre et d’engagement, Jean Meckert, dit Jean Amila (entre autres pseudos) affirmait qu’« écrire c’est revendiquer une place dans l’univers, c’est revenir sur l’histoire pour l’éclairer et lui donner un sens. Moi je suis l’étincelle ». Une citation qui va comme un gant autant au prix qu’à Colères du présent qui met sans cesse en friction le réel et la fiction, qui utilise le livre comme outil de compréhension du monde.

Jean Amila-Meckert – DR

Amila-Meckert dans l’histoire du roman noir, vue par Jean-Bernard Pouy

Le 1er mai 2009, une émission de PFM, animée par Guy Lesniewski, avait mis Jean Amila-Meckert dans la géographie littéraire du roman noir :

Jean Amila-Meckert, de l’expression populaire à la critique sociale

Débat autour de l’oeuvre de Meckert à Arras en 2013, avec Pierre Gauyat, spécialiste de l’auteur, THierry Beinstingel, lauréat du prix, Laurent Meckert, fils de l’auteur, et les co-éditeur-trice Hervé Delouche et Stéfanie Delestré. Un débat animé par Hervé Delouche et Gwen Denoyers (image et son : libfly.com).

Amila-Meckert vu par Patrick Pécherot, auteur

Les fantômes de Courbevoie 

« Tu as lu Le Monde ? Amila est mort. » 

Non, je n’avais pas lu. En banlieue, le quotidien du soir arrive avec deux heures de retard. C’est toujours ça de gagné sur les mauvaises nouvelles. Sauf quand le téléphone se charge de rattraper le temps perdu. Je me souviens encore de son bruit quand je l’ai raccroché.

Amila, je l’avais découvert quelques années plus tôt, avec Le Boucher des Hurlus. L’histoire de ces gamins qui font le mur de l’orphelinat pour venger leurs pères morts au champ d’horreur. Et supprimer le général casse-pipe qui les a envoyés se faire trouer la peau.

Il est des livres qui vous cueillent comme un direct. Avec ses Chiche-capons aux idées noires, Le Boucher en est un. A sa sortie, entre deux réunions fumeuses qui devaient refaire le monde, je commettais quelques papiers dans une feuille antimilitariste. J’y ai écrit tout le bien que je pensais du Boucher. Selon l’usage, j’ai envoyé le canard à l’auteur, aux bons soins de la Série Noire.

La réponse est venue vite. Le monde est rempli de hasards objectifs. L’orphelinat des Hurlus se situait à Courbevoie, j’y vis. Une ville peuplée de fantômes errant au pied de La Défense. Arletty, Céline, Claude Néron, son Max et ses ferrailleurs…

Amila n’avait pas oublié Courbevoie. Et pour cause. « En casquette à galons dorés, en capote à boutons dorés, tout au long des jeudis sans fin, voyez passer les orphelins », chantait le Jean-Jacques Debout d’avant Bécassine. Crâne rasé, galoches aux pieds, le petit Meckert avait été un de ceux-là.

Nous avons échangé quelques lettres. Les siennes commençaient toujours par un « cher ami de Courbevoie », comme un clin d’œil à sa jeunesse. Un écho de cet Amilanar qu’il était resté. Sans plus d’illusions qu’un Abel Benoit, le chiftir’ du Pont de Tolbiac cher à Malet.

Amila m’avait invité à passer chez lui. Je suis du genre réservé, je n’ai pas osé, redoutant la formule de politesse. Craignant d’handicaper « le vieil handicapé qui ne sait plus faire qu’écrire ». J’ai laissé filer, le silence s’est installé. Il m’a fallu des années avant de croire que le temps était venu. Que voir débarquer dans son « trou perdu » un gars de Courbevoie divertirait le reclus de Lorrez-le-Bocage. J’ai pris la plume pour le lui proposer.

C’était en 1995. Derrière le rideau de fleurs, le gouvernement français reprenait ses essais nucléaires. Ce sujet-là aussi nous rapprochait. Amila était allé en Polynésie, il n’avait pas aimé l’envers de la carte postale. Pour l’avoir entraperçu, j’avais témoigné lors du procès en appel de ceux qu’on appelait alors « les mutins de Papeete ».Des détenus de droit commun qui s’étaient révoltés pour demander l’arrêt des tirs à Mururoa.

Le hasard, encore. Je terminais ma lettre quand le téléphone a sonné. « Tu as lu Le Monde ? Amila est mort. » En quelques secondes, ma bafouille avait pris un sacré coup de vieux. Je l’ai jetée dans la poubelle des rendez-vous manqués et j’ai commencé Tiuraï. Je l’ai dédié à Jean Amila. Et j’ai baptisé mon héros Mecker, sans « t » final. Les brèmes sont toujours plus belles un peu maquillées.

On m’a souvent demandé si La Vierge et Taureau l’avait inspiré. La Vierge, j’en connaissais simplement l’histoire qui lui est attachée. On pourrait dire la légende, tant elle est inséparable de la geste amilienne. Ce bouquin, ramené de Polynésie où son auteur était parti travailler à un projet cinématographique d’André Cayatte, sentait son livre culte. Retiré des ventes après qu’une agression mystérieuse eut plongé Amila dans le coma, puis l’amnésie, il faisait figure de rareté dont les bouquinistes tiraient la cote à la hausse. Je ne l’ai lu que bien plus tard. Au gré d’une autre rencontre. J’allais écrire « au hasard ».

Une fois de plus. Pourtant, au jeu des probabilités, combien en existait-il pour que deux autodidactes ayant vécu, à plus de soixante ans d’écart, dans une même banlieue parisienne, écrivent un jour un polar qu’ils situeraient sur une même île du Pacifique ? Aussi peu, sans doute, que de voir un directeur de collection – Patrick Raynal – parier qu’il recevrait un manuscrit sur les essais atomiques… quelques jours avant que le facteur ne lui apporte le Tiuraï d’un parfait inconnu.

Je n’en finirais pas de dénombrer les fils qui conduisent à Jean Amila. Désormais, ils peuvent mener à Jean Meckert. Enfin. Sa réédition par Joëlle Losfeld, après la reprise des Coups en Folio, montre à quel point il aura été indispensable au polar, y opérant la jonction parfaite avec ce que fut le roman prolétarien. Prolongeant ses thématiques – le travail et la peine des hommes, les barrières sociales, la guerre, l’engagement –, le noir d’Amila demeure celui de Meckert. Le noir cambouis. De la graisse à machines bien plus qu’à fusil.

« Jean Meckert n’a plus écrit de roman prolétarien depuis de nombreuses années. Il est devenu auteur d’un grand nombre de romans policiers sous divers pseudonymes », écrivait, en 1986, Michel Ragon dans son Histoire de la littérature prolétarienne de langue française.

Que l’ami Ragon n’avait-il lu Le Boucher des Hurlus, publié quatre ans plus tôt. Il y aurait vu combien, au-delà des noms de plume, des genres et des étiquettes, Amila poursuivait l’œuvre de Meckert. Et combien, à contre-courant du chemin qui parfois mène de la Noire à la Blanche, certains de ses polars font figure d’achèvement.

« Tu as lu Le Monde ? Meckert revient. » Et comment !

 

(Ce texte a été publié en juin 2005 dans la revue 813, à l’occasion d’un dossier consacré à « Amila/Mecket : l’homme révolté ».)

Quelques chroniques de livres

Jean Meckert, La Vierge et le Taureau, Presse de la cité, 1971

Tahiti, 1970. Honoré, peintre raté qui a voulu suivre les traces de Gauguin, vivote en vendant des aquarelles aux touristes. A l’autre extrémité de l’échelle sociale, Gloria, vedette sexy du cinéma américain, est venue pour tourner un film. Pour la séduire il se fait passer pour un espion, mais éveille ainsi les soupçons des services qui protègent les activités nucléaires… L’aventure, forcément, finira mal.

Jean Meckert était parti en Polynésie écrire le scénario d’une parodie de film d’espionnage, pour le réalisateur André Cayatte. Il en revient profondément indigné : il a vu là-bas un peuple sans droits, sous la coupe de militaires qui mettent au point des méthodes d’extermination. Plus question de jouer la comédie ! La Vierge et le Taureau, roman de suspense, sera avant tout un pamphlet contre le nucléaire et le colonialisme.

Après la parution du livre aux Presses de la Cité en 1971, Meckert continuera de pourfendre, dans ses Série Noire, services secrets et polices parallèles. Violemment agressé (un tabassage dû à des barbouzes ?), il en sortira épileptique et amnésique, et devra se reconstruire.

Hervé Delouche (Revue 813) – Jamais réédité jusqu’alors, ce roman sera republié chez Joëlle Losfeld en 2021.

Jean Meckert, L’Homme au marteau (Gallimard 1943 / Joëlle Losfeld)

Deuxième roman de Jean Meckert, L’Homme au marteau (1943) met en scène les journées répétitives et étouffantes d’un employé de bureau. Augustin Marcadet, 30 ans, est un fonctionnaire du Trésor au service contentieux, marié et père de famille, qui rêve d’échapper à la médiocrité et à l’ennui d’un quotidien terne et sans espoir. Une vie de bureau que l’auteur connaît bien ; il sait en croquer les acteurs, il en fait une chronique à la fois drôle, amère, cruelle.

Dès le départ matinal au turbin, le tempo du métropolitain rythme les pensées de Marcadet, et le spectacle du triste troupeau de ses contemporains exerce son sens critique et sa lucidité. Les films de gangsters du dimanche ne suffisent pas à faire s’évader celui qui nourrit d’autres espérances. Exaspéré par les humiliations de son chef et la mesquinerie de ses collègues, il aura le courage de redresser la tête, de se révolter, de vivre une parenthèse d’amour et de liberté… vite refermée. Comme vient de l’être l’immense espoir du Front populaire, cette révolution manquée.

Ecrivain du peuple, Jean Meckert nous donne ici un livre sur le monde du travail d’une profonde authenticité, loin de tout manichéisme, de toute grandiloquence. Un livre à hauteur d’homme, toujours d’actualité.

Hervé Delouche (revue 813)

Jean Meckert, Nous sommes tous des assassins (Gallimard, 1952 ; rééd. Joëlle Losfeld, 2008)

On est trois, Gino le Corse, Dutoit le médecin, moi c’est Le Guen. On a du sang sur les mains et nos journées se passent à l’ombre. On est condamnés à la machine à raccourcir.

Janine et Agnès attendent Arnaud, l’avocat. Elles lui posent une question : c’est vrai qu’on les attache la dernière nuit ?Arnaud attaque la Société : « On est pas capable d’insérer ces gens, d’en faire des citoyens… »

 Il fait encore nuit, c’est le tour de Gino, on lui passe une chemise propre. Moi, Le Guen, je reste en taule. J’ai été condamné pour avoir exécuté des ennemis et des traîtres pendant la guerre. Les donneurs d’ordres sont devenus des héros.

Pour la Résistance, je faisais des commissions, c’était boulot, métro, vélo et je ne savais pas lire. Le capitaine Bayard me donne une mission, la première.

En prison, arrive un nouveau, Bauchet, un meurtrier, le pire de tous.

Pendant l’Occupation, il y a Rachel et Noblet, chacun veut quelque chose de moi.

Les jours d’exécution, le bistrot le Bon Coin ouvre de bonne heure, on se bouscule. Il va y avoir du monde.

 La Société vient chercher Bauchet, c’est le matin de la mort. Il est cinq heures.  Alors Bauchet hurle : ASSASSINS !!!  Alors la prison crie assassins, assassins !!!

Le Guen a mal au ventre, on l’emmène à l’hôpital. C’est le docteur Detouche qui s’occupe de lui. Dutoit va moins bien. La cour de la prison suffira.

  Pendant la guerre, Le Guen est un exécuteur, les ennemis, les collabos. Après c’est un tueur lié aux lois républicaines, c’est la prison.

Le docteur Guillotin ne sera en retraite qu’en 1977.

La société, elle aussi, a les mains rouges.

Patrice Lebrun (revue 813)